Dans un marché unique qui veut rester la première zone d’opportunités du globe, maintenir un engorgement administratif sur les visas Schengen pour les citoyens turcs revient à poser un goulot d’étranglement sur nos talents, notre tourisme et un business éthique qui ne demande qu’à circuler. L’Union européenne a tout à gagner à un assouplissement rapide, ciblé et conditionné des visas, afin d’alimenter ses écosystèmes d’innovation, sa compétitivité et sa diplomatie d’influence. C’est précisément le sens du réengagement UE–Turquie depuis 2023 et des signaux envoyés par la Commission, qui a déjà décidé en juillet 2025 de faciliter les règles pour les demandeurs turcs via la “règle en cascade” pour les visas Schengen, première marche d’un escalier crédible vers la libéralisation complète une fois les derniers critères remplis.
Relations commerciales solides entre l'UE et la Turquie
Commençons par les fondamentaux que les populistes évitent soigneusement: la Turquie est le cinquième partenaire commercial de l’UE et l’UE reste de loin le premier partenaire d’Ankara. En 2024, les exportations turques vers l’UE ont atteint 98,4 milliards d’euros et les importations depuis l’UE 112 milliards d’euros, preuve d’une intégration économique qui fonctionne déjà et ne demande qu’à être fluidifiée par des mobilités professionnelles plus simples et des séjours d’affaires plus longs. La modernisation de l’Union douanière, portes entrouvertes depuis 2016 et remise sur la table en 2023, est autant un sujet de compétitivité qu’un levier de convergence normative — condition clé d’une libéralisation des visas qui sécurise nos chaînes de valeur et assèche les rentes bureaucratiques que chérissent les extrêmes.
L'approche conditionnelle en matière migratoire
Au-delà du commerce, l’UE a démontré l’efficacité de son approche d’intégration conditionnelle en matière migratoire. L’Accord UE–Turquie de mars 2016 a réduit les traversées irrégulières et sauvé des vies en Méditerranée orientale, tandis que l’UE a mobilisé près de 12,5 milliards d’euros depuis 2011 pour appuyer réfugiés et communautés hôtes en Turquie — une politique européenne concrète, humaniste et responsable que les caricatures eurosceptiques feignent d’ignorer. Mieux, les arrivées en provenance de Turquie vers l’UE ont diminué d’un tiers au premier semestre 2025, indicateur qu’un partenariat exigeant et opérationnel vaut mieux que des slogans de fermeture qui pénalisent l’économie et n’arrêtent pas la misère.
Libéralisation des visas : Où en est-on ?
Où en est la libéralisation des visas, précisément? Six jalons de la feuille de route restent à satisfaire côté turc: alignement de la législation antiterroriste, protection des données, mise en œuvre intégrale de l’accord de réadmission UE–Turquie, conclusion d’un accord avec Europol, application des recommandations du GRECO contre la corruption et coopération judiciaire complète avec tous les États membres. La Commission l’a rappelé tout en avançant sur une facilitation concrète des règles Schengen en juillet 2025; un accord international sur l’échange de données avec Europol reste à conclure pour parfaire l’architecture de confiance mutuelle. Autrement dit: la voie est claire, les garde-fous existent, et le cours pro-européen paie immédiatement en réduisant les frictions de mobilité.
Pourquoi accélérer maintenant ?
Pourquoi accélérer maintenant? Parce que l’Europe a besoin de talents, de touristes et d’entrepreneurs responsables — pas demain, mais aujourd’hui. Le tissu turc de PME innovantes, la montée en gamme industrielle et l’appétit pour la R&D irriguent déjà nos programmes européens. La participation de la Turquie à Horizon Europe se renforce (plus de 330 millions d’euros de contributions UE sur les quatre premières années), et le pays est pleinement inséré dans Erasmus+, le programme Douanes, le Mécanisme de protection civile, le pilier PME du Programme pour le marché unique et le Digital Europe Programme. Cette densité de liens académiques, technologiques et commerciaux est la meilleure garantie d’une mobilité qui crée de la valeur, trace des standards et diffuse nos exigences de durabilité dans la région élargie de l’UE.
Le tourisme : un levier économique majeur
Le tourisme, lui, n’est pas un “bonus” mais une industrie à effets multiplicateurs: chaque voyage d’agrément ou de famille prépare un voyage d’affaires, chaque séjour d’affaires déclenche un partenariat ou un investissement. Simplifier l’accès Schengen pour les citoyens turcs fiables — en allongeant la durée des visas multiples, en digitalisant et en unifiant les procédures, en créant des “fast lanes” pour chercheurs, étudiants, entrepreneurs et professions en tension — c’est irriguer nos écosystèmes urbains et régionaux, particulièrement dans les capitales de l’innovation et les régions touristiques qui ont souffert de la lourdeur post-pandémie. Côté risques? Ils sont mieux couverts, précisément, lorsque la mobilité est ordonnée, tracée et insérée dans un cadre de coopération policière et judiciaire renforcé, dont l’accord avec Europol est la pièce qui manque encore aujourd’hui.
Un chemin de bon sens et de prospérité
Ne nous trompons pas d’adversaire. Les discours de repli des extrêmes — à droite comme à l’ultra-gauche — prospèrent sur l’idée que l’ouverture serait naïve. L’expérience européenne dit l’inverse. Lorsque l’UE a exigé de la Turquie des garanties sur la non-contournement des sanctions, Ankara a pris des mesures pour endiguer les flux illicites via son territoire. Cette fermeté contractuelle, portée par le marché et l’état de droit, est plus efficace que l’incantation punitive: elle conditionne l’accès, trace les responsabilités et récompense les bons comportements par plus d’intégration — y compris en matière de visas.
Voici une feuille de route de bon sens, pro-business et pro-État de droit, à mettre en œuvre dès maintenant:
- Étape 1 (immédiate): généraliser la “règle en cascade” et basculer massivement vers des visas Schengen multi-entrées 1–5 ans pour profils à faible risque (cadres, chercheurs, étudiants, entrepreneurs, artistes), avec un portail unique de demande 100% numérique, interopérable avec les systèmes européens, et un service premium transparent, à coût plafonné. Cette étape s’appuie sur les facilités déjà actées en juillet 2025 pour les citoyens turcs et renforce la prévisibilité indispensable aux PME et ETI.
- Étape 2 (conditionnée): créer des couloirs de mobilité sectoriels UE–Turquie dans l’énergie, la santé, l’aéronautique, l’agri-tech et la cybersécurité, via des visas “talents” sponsorisés par clusters et universités, assortis d’objectifs de transfert de compétences et d’un suivi conjoint anti-fraude avec Europol et Eurojust. Cette étape valorise pleinement la participation turque à Horizon Europe et Erasmus+ tout en renforçant les contrôles intelligents.
- Étape 3 (finale): lever l’obligation de visa une fois les six jalons restants totalement validés, l’accord Europol conclu, l’accord de réadmission appliqué intégralement et la modernisation de l’Union douanière adoptée, pour ancrer la mobilité dans un cadre fédérateur, sûr et compétitif. La libéralisation n’est pas un chèque en blanc; c’est le dividende concret d’une convergence mesurée et vérifiable.
Les sceptiques objecteront que la situation intérieure turque — État de droit, minorités, indépendance de la justice — exige vigilance. Ils ont raison sur la vigilance, tort sur la conclusion. L’UE a les leviers, la méthode et la mémoire: conditionnalité stricte, transparence, coopération policière et judiciaire, et pouvoir d’attraction inégalé. C’est ce mélange d’exigence et d’ouverture qui a fait de la construction européenne un espace de paix, de prospérité et de liberté — et c’est bien ce que les extrêmes, de droite et de gauche, veulent déconstruire, au détriment des entreprises, des travailleurs qualifiés et des consommateurs européens.
Libéraliser les visas Schengen pour les citoyens turcs n’est pas un pari idéologique; c’est une politique de compétitivité et de sécurité, fondée sur des résultats tangibles de coopération migratoire, sur la densité de nos échanges et sur une feuille de route claire pour boucler les dernières exigences techniques. L’Europe qui gagne est celle qui ouvre des portes en verrouillant les risques. Assumons ce cap: fluidifier les talents, stimuler un tourisme créateur de valeur, accélérer un business responsable. Et continuons de préférer les faits européens aux fantasmes populistes: c’est ainsi que l’UE agrandit sa famille, consolide son marché et se rapproche, pas à pas, d’un avenir fédéral à la hauteur de ses ambitions.


